Anel | 3 | |
Xavier Chanoine | 4 | Un vrai beau film sur le quotidien |
Du beau cinéma tient parfois à peu de choses. Ann Hui prouve qu'avec de la vidéo HD, un regard distancié sur le quotidien répétitif d'une poignée de personnes, une neutralité dans le discours et surtout une grande connaissance des us et coutumes de l'habitant moyen de Hong-Kong, il est tout à fait possible de faire d'une simple chronique de famille un grand moment de bonheur simple. Le style épuré de la cinéaste confère à The Way We Are une dimension telle qu'elle risque de laisser le spectateur occasionnel sur la touche, un peu comme lorsque Tsai Ming-Liang pousse le sentiment de solitude et d'épuration générale d'un I Don’t Want to Sleep Alone vers des sentiers risqués, ceux qui feraient pencher le film vers l'ennui monstre ou qui pourrait à de nombreux égards laisser le spectateur trop distant avec ses vignettes fixes, désespérément tristes et malades. Dans ce dernier, Tsai Ming-Liang propose un regard d'auteur pessimiste sur la société qu'il dépeint tandis qu'Ann Hui ne fait que capter la vie d'une famille (une mère travaillant dans un supermarché et son garçon un peu feignant sur les bords) et la relation qu'elle entretient avec une vielle dame toute seule. C'est cette absence de jugement qui fait que The Way We Are peut être appréhendé comme un documentaire, un type qui partirait à Hong-kong pour s'installer dans les gratte-ciels de Tin Shui Wai afin de suivre le quotidien de gens banals. Qui dit absence de jugement ne dit pas forcément oeuvre vidée de toute substance, Ann Hui mettant en avant ce qui fait la force des habitants : cette entre-aide permanente, un brin d'humanisme dans un univers de pierre, très peu de séquences se déroulant en pleine nature, vraie déclaration d'amour pour tout ce qui touche au repas (qu'il soit sans occasions particulières ou pour se retrouver après un enterrement d'une vieille tante), l'écriture donnant une sacrée importance au déjeuner/dîner et aux symboles (clichés?) typiquement chinois comme cette préparation d'un durian dégusté dans l'instant, d'un pamplemousse chinois partagé à la fois par soucis d'hospitalité et par soucis de rassemblement (laisser un être seul dans son studio n'est jamais bon) ou les premières dégustations de gâteaux de lune commandés par un grand oncle.
De nombreuses thématiques figurent dans ce cinéma de l'instant, comme cet humanisme exacerbé à la fois dans la gestuelle, l'intention et la voix de madame Cheung, préférant gaspiller un peu de son temps pour aider l'une de ses voisines trop souvent seule et qui n'a pas été capable de faire plaisir à sa famille, cette dernière achètera quantité de bijoux destinés à ses petits enfants comme pour se racheter des "fautes" du passé. Le geste sera évidemment guère apprécié par un d'entre eux, logique. On évoquait précédemment le rassemblement, dans The Way We Are on joue au Mahjong ou aux jeux-vidéos, on se plait à papoter de tout et de rien, on va voir une tante hospitalisée pour lui apporter des repas un poil meilleurs que ceux confectionnés par l'établissement. On va aussi à un enterrement d'une impressionnante discrétion, très loin des cérémonies typiquement occidentales, et puis on se retrouve tous au restaurant pour éviter que le froid ne s'installe. A force que le film avance, madame Cheung qui vit seule avec son fils finira par se rapprocher de Kai, la vieille dame du dessous, simplement grâce à l'entre-aide mutuelle, aux petits gestes du quotidien ou à la complicité forgée dans le travail au supermarché. Si le film est particulièrement beau et sincère dans sa simplicité, il demande au spectateur une attention particulière et le suppliera de ne pas abdiquer car c'est justement sa lenteur et sa linéarité qui lui confient cet aspect touchant tant on aura passé 90 minutes au plus près de la vie des habitants de Tin Shui Wai. A la manière d'un Antoine de Maximy qui donne régulièrement envie de déposer ses affaires dans les pays qu'il visite, Ann Hui aura montré une facette du quartier loin de l'image donnée par les cinéastes adeptes des tournages à Kowloon ou à Tin Shui Wai simplement pour en faire leur fond de commerce avec les avalanches de films de triades. De plus elle y ajoute à deux reprises quelques photos du quartier et de ses habitants datant d'il y a de nombreuses années comme pour démontrer que la magie du rassemblement et des fêtes entre voisins existe toujours bel et bien malgré l'image pas très noble que renvoie ce quartier des Nouveaux Territoires. Se conférer à l'ultime plan "vivant" du film avec cette immense fête organisée dans les jardins et cette enfant qui nous montre son plus beau sourire. Voilà en tout cas un bel exemple de simplicité touchante et de respect à conseiller aux spectateurs désireux de passer un moment en compagnie de personnages comme vous et moi sans attendre autre chose d'autre. Coup de coeur.