Xavier Chanoine | 2.5 | Des images superbes mais un film pas aussi marquant qu'espéré |
Les superbes qualités formelles du film n’en font pas un Nakagawa marquant comme pourront l’être plus tard ses classiques de l’horreur en couleur, bricolés et audacieux, d’un tout autre genre que ce Wicked Woman plus ancré dans le registre du film de femme fatale. Ici, une femme surnommée O-Den fait de sa vie une distraction, oscillant entre trois hommes (son ex-mari qui lui a laissé une enfant, un homme mourant et un policier), n’hésitant pas à voler ou manipuler toute personne susceptible de tomber sous son charme, dont un impitoyable homme d’affaire (Tamba Tetsuro qui n’en était probablement pas encore à dix films tournés) amateur de chair fraîchement battue. Sauf qu’à défaut de tisser le portrait d’une femme aux méthodes parfois peu scrupuleuses (le personnage ayant réellement existé, défrayant la chronique au Japon et étant la dernière personne au Japon à être condamnée à mort par décapitation), Nakagawa met en scènes ses aventures mais préfère y évoquer le contour tout comme le contexte au travers de portraits masculins divers et variés (entre l’ex-mari alcoolique, le policier qui a failli à sa tâche, l’être agonisant suite à la contraction de la tuberculose et l’homme violent) et se sert parfois du misérabilisme pour remettre en cause à la fois le rôle de mère de O-Den et l’absence de véritable homme fort au sens noble du terme. Pas de juste milieu, pas d’équilibre, simplement des faits, des situations embarrassantes (la fille d’O-Den laissée à l’abandon, le vol, le bouquet final meurtrier) et un final réduisant encore plus les ambitions d’une femme qui s’était alors fait une vie presque pleine de paillettes dans un établissement aux couleurs de la Chine. La roue tourne, en gros, fait symbolisé par la présence de formes rondes tout au long du film (les roues de la voiturette, l’abat-jour, la table de jeu…) évoquant le destin de cette femme manipulatrice.
S’il demeure classique dans son déroulement, propulsant son climax vers une absence totale d’optimisme, A Wicked Woman fait parfois preuve d’une inventivité visuelle de tous les instants. Entre un montage parfaitement audacieux où les plans s’enchaînent à la vitesse grand V (la séquence de la voiturette en début de métrage) et un sens du cadre d’une précision et d’un raffinement typiquement Mizoguchien (le sens du découpage plus rapide en plus), Nakagawa dévoile un autre visage, bien différent que celui qu’on lui connait pour ses jidaigeki et ses chambaras revisités avec une once d’épouvante, très loin aussi des délires visuels d’un Jigoku, ici il se cantonne à étaler un savoir-faire déjà grand. Le spectateur pourra toujours pinailler sur le côté plan-plan de certaines séquences de discussion, on a déjà vu plus beau cadre sur les visages. Drôle de sentiment au final que ce A Wicked Woman pas bien passionnant et déjà parfaitement convenu dans sa trame que l’on peut anticiper (une femme qui arrive à s’insérer aussi facilement dans la société en usant de gros stratagèmes ne peut pas terminer sa carrière dans un canapé), on n’évite pas non plus le larmoyant ni les interprétations un peu simplettes (Tamba Tetsuro doit encore rire de sa prestation). A conseiller pour sa plastique pouvant rivaliser sans problèmes avec les plus grands systématiquement cités et parce que le destin de cette femme pas ordinaire suscita un certain intérêt à son époque au début de l’ère Meiji.