Xavier Chanoine | 4 | Mes enfants, il est l'heure de flipper. |
Ordell Robbie | 1.75 | Escalier du réchauffé |
Elise | 4.25 |
Yoon Jae-Yeon rehausse la série des Whispering Corridors dans le domaine de l'horreur viscérale en apportant une touche infiniment plus dark et horrifique que ses prédécesseurs. Si le premier opus renouvelait le cinéma de genre asiatique en apportant une dimension sociale intéressante, Memento Mori confirmait cette tendance en s'orientant d'avantage vers le drame humain et laissant de plus en plus de côté les codes du cinéma fantastique populaire, même si il faisait souvent preuve de facilité, mais cartonnait dans le registre du film dramatique. Wishing stairs réoriente à nouveau la série et met en avant les symboles même du cinéma de genre : la relation d'amitié forte (encore une fois proche de l'amour) entre deux étudiantes, l'une va décéder et son fantôme reviendra hanter les lieux. C'est un peu du Nakata croisé avec l'univers fantasmagorique et onirique d'un American McGee, notamment pour ces superbes escaliers sortis tout droit d'un conte imaginaire pour adulte. Wishing stairs récupère alors les ingrédients typiques de la série (lycée exclusivement féminin, guéguerres, humiliations) et les transgressent pour aboutir au final à un produit purement flippant.
Si la première partie n'amène rien d'original malgré les portraits touchants des deux étudiantes et d'une fille obèse complètement dingue, la seconde bascule sans broncher vers le film d'horreur sans surprises mais doté d'une ambiance suffocante et d'une continuité telle que le cinéaste évite toute pause classique entre deux scènes d'épouvante -au contraire de tout un pan du cinéma d'horreur américain post Scream- créant ainsi une tension palpable et inépuisable jusqu'au final. Le ton est résolument baroque, on n'atteint tout de même pas la densité d'un chef d'oeuvre d'Argento (Suspiria pour son approche d'un internat de danse gardé par une sorcière, Inferno pour ses pièces labyrinthiques et ses couleurs saturées) mais Yoon Jae-Yeon étonne par son incroyable facilité à retranscrire la peur par le positionnement ingénieux de sa caméra (jusqu'à en être opportuniste et réciteur de références déjà vues) et par le soin accordé aux décors. Tous les lieux typiques du cinéma fantastique sont ainsi présents : la douche, la chambre d'ado, la salle de classe, la cave, mais cette revisite d'un genre particulièrement torché depuis 25 ans ne lasse pas, et arrive même à surprendre par certaines séquences bien emmenées (la folie de la fille boulimique, le retour à la vie de So-Hee, superbe et à la beauté d'un ange, et tout ce qui en découle par la suite) et par son atmosphère travaillée. On reprochera par contre le formatage parfois trop appliqué (So-Hee est le clône de Jeon Ji-Hyeon, pas de sa faute mais bon...) et un final plutôt décevant, montrant les faiblesses potentielles d'écriture d'un cinéma qui commence à tourner en rond. Whishing stairs réussit en tout cas à surprendre et c'est pourquoi, en tant que digne successeur de Memento Mori, tout spectateur un temps soit peu attiré par le cinéma fantastique et dramatique se doit d'en connaître l'existence.
Après un Memento Mori inégal et confus malgré quelques belles fulgurances qui le plaçaient au-dessus du tout venant coréen, la série des Whispering Corridors poursuit son déclin avec un troisième épisode peu inspiré. Si le cinéma de série a pu donner de grandes choses du côté du Japon dans les années 60-70 et à Hong Kong jusqu'au milieu des années 90 parce que dans les deux cas les concepteurs de séries essayaient de répondre à une demande du spectateur d'être surpris, étonné, on est plus proche ici d'une formule en pilotage automatique, de la volonté de servir au public ce qu'il connaît déjà -de la série ou de ce qui marche ailleurs- afin d'alimenter le tiroir caisse, objectif atteint par ce qui fut un succès de l'été coréen. Toutes le choses dont parle une bonne partie du film (les complexes physiques de l'adolescence -l'actrice qui joue l'obése joue très mal en particulier-, la compétition à l'intérieur d'une classe, la pression mise par les professeurs sur leurs élèves) sont du niveau du tout-venant du teenage movie mais cela ne saurait excuser le ratage du film: un Virgin Suicides n'est pas plus profond thématiquement mais c'est la justesse du regard de Sofia Coppola qui fait la différence.
Or là où le précédent souffrait de maniérisme niveau mise en scène, Yun Jae Yeon confond ici mise en scène discrète et choix de mise en scène "placement de père de famille", ce n'est pas clippeux, c'est juste assez plat, là où le volet précédent voyait ses risques niveau réalisation parfois récompensés par de beaux moments de cinéma. Mais là où le film rate complètement sa cible, c'est en tant que film d'horreur: là où le premier volet se permettait de faire la leçon à l'épouvante made in Japan -être aussi efficace niveau frousse qu'un Nakata tout en ajoutant une dimension de commentaire social-, celui-là se contente de rentrer dans le moule du cinéma populaire coréen actuel. A savoir reprendre ce qui se fait ailleurs sans chercher à l'assembler de façon cohérente et sans faire cet effort de "recyclage" (faire du vraiment neuf avec du vieux en y apportant une touche personnelle) qui donna les grandes choses que l'on sait du côté de Hong Kong. A essayer de créer la terreur par une approche sensorielle dans la lignée de Nakata, à vouloir nous refaire pour la énième fois le coup des jeunes filles aux cheveux longs à l'allure de fantôme ainsi que de la possession par un esprit du mal et vouloir réciter son De Palma à coup de visages arrosés de sang, Yun Jae Yeon ne réussit même pas à construire une série B d'épouvante efficace parce que la reprise n'est pas faite avec le minimum de touche personnelle que pouvait avoir le rip off ringien tout juste potable des frères Pang.
Si l'industrie cinématographique coréenne vit un âge d'or en terme de santé financière, il lui reste encore à prouver qu'elle peut produire un cinéma populaire ne se limitant pas à reprendre ce qui marche chez ses voisins et à Hollywood pour faire survivre un cinéma national et s'emparer du leadership du cinéma en Asie du Sud-Est laissé vacant par la chute de Hong Kong. Chose dont ce coup d'épée dans l'eau cinématographique fait douter.