En 2009, soient quelques années après la sortie du
film d'Isao Takahata en France,
Shampooing édita les Yamadas chez nous sous la forme de trois gros pavés. Ces BD comiques de 4 cases, appelées « yonkoma » et dessinées par
Ishii Hisaichi entre 1991 et 1997, nous relatent la vie quotidienne de la famille Yamada. Et qui dit 1991-1997 dit 1995, à savoir le tremblement de terre de Kobe et l'attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, tous deux évoqués à travers notre chouchoute de famille japonaise. Une collègue de Matsuko couche sa bibliothèque et la transforme en lit ?
"C'est pour éviter de me la prendre sur le coin de la figure en cas de tremblement de terre." Un "BOUM" retentit dans toute la maison des Yamadas ? Ca n'est pas une secousse, juste la corpulente maman qui s'est cassée la binette au premier étage. Depuis Kobe, des amis appellent les Yamadas pour dire qu'ils vont bien ? Pas les Yamadas, ils ont tous la grippe. Quant au gaz, il a manifestement eu plus de conséquences psychologiques à Tokyo que les usuelles secousses : paranoïa ambiante, réelle panique des japonais, que Hisaichi moque gentiment avec notre père Takahashi qui se refuse à ramasser un journal sportif dans le métro de peur qu'il se révèle être une bombe... Voilà pour un contextuel qui reste mineur en regard de tous ces petits riens illustrés, qui vont jusqu'à Noburu qui pète très fort en se levant alors que, juste à côté, sa mère lui tend le téléphone afin qu'il dise quelques mots à sa tante. Point de honte j'ai à en rire, en pensant à cet instant au sketch pipi-caca bienvenu qu'avait fait Takahata sur le pourtant très honorable et un chouillat austère film à sketchs
Jours d'hiver.
Hilare, j’en suis à peine arrivé à la fin du tome 2 que le drame se déclare : un très gros tremblement de terre, un tsunami et un incident nucléaire surviennent au Japon. En vrai. Et vlan, passe-moi l’éponge… mais une éponge ne suffira pas à réparer les dégâts, et encore moins à colmater les brèches d’une centrale nucléaire qui laisse déjà filtrer l’horreur.
Sur ce, lointain occidental chanceux que je suis (pour l’instant), je m’en retourne à mon quotidien, occasionnellement ponctué par celui des Yamadas, une intégrale dans laquelle on trouve des blagues dantesques, d’autres plus légères, quelques traits de poésie, et l’on se rend compte d'aileurs à quel point l'idée de ponctuer le film de haikus était proprement géniale. On tombe aussi parfois sur des enchainements plus moyens, ou même des histoires carrément incompréhensibles par chez nous, faites de jeux de mots locaux ou références à une actualité politique ou sportive toutes japonaises. Aussi incongrues que bienvenues, ces spécificités nous plongent tête la première dans cette contrée éloignée.
Comme dans le cadre d’un voyage il est toujours plus enrichissant de loger chez l’habitant que de se coltiner la fadeur d’un tour operator, avec les Yamadas, c’est bien, on vit chez eux, et avec tous ces Yamadas qui se sont fait prendre par surprise par le tsunami en plein milieu de leur quotidien, illustré avec talent dans cet amas de petites bédés, on a l’impression que cette catastrophe survient violemment entre deux cases d’un yonkoma. Comme si un vilain nous volait soudainement notre livre en pleine lecture, que, fou furieux, il nous arrachait les pages sous nos yeux outrés, puis qu'il s'en allait sans plus de raison qu'il n'en avait eu de venir, laissant notre manga en miettes, là, par terre. La sieste du chien Pochi sous sa niche mal construite, le jeu vidéo de l’assoupi jeune Noburu, le pachinko arrosé du papa Takahashi, les graves turpitudes de la maman Matsuko («
qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire à manger pour ce soir ?... »), l’apprentissage de la corde à sauter pour la jolie petite Nonoko, Mami Shige qui s’en va cueillir des fleurs… Pas de blague, pas de chute, pas le temps : une vague emporte tout, hop, terminé. On verse alors une larme pour la famille Yamada, sans bien comprendre ce qui vient de se produire ni pourquoi, et on rit jaune en pensant à cette affiche du film où on les voyait tous s’amuser avec une inconscience paisible… dans la mer.