Ce qui différencie un excellent road movie d'un simple "bon" road movie, c'est la capacité du cinéaste à insuffler aux personnages une consistance, un passé qui les rattrape (la ballade n'est jamais gratuite). Et si The Yellow Handkerchief appartient à la catégorie des excellents road movie c'est parce qu'il réussit à allier avec une belle maîtrise ballade cool et vraie émotion suscitée par la narration qui n'hésite pas à produire de nombreux retours en arrière. Et du fait qu'ils soient courts et intenses, les retours véhiculent tout un tas d'émotion qu'on ne pensait pas d'un film japonais mainstream de cette époque : Yamada Yoji est en pleine saison des Tora-san, il reprend une partie du casting de la série en guise de clins d'oeils, reste plutôt académique dans la mise en scène et ne bouscule pratiquement jamais les codes du genre. Cependant, ce sont les "histoires", les "discussions" qui font et animent The Yellow handkerchief, lui donnant ce pouvoir presque hypnotique, un peu à la manière d'un récent Old Joy où l'émotion était suscitée par les conversations des deux potes. Ici, Takakura Ken est un personnage au départ effacé, profil bas, logique car venant de sortir de prison pour homicide involontaire sur un yakuza qui a malencontreusement croisé son chemin après une prise de bec avec sa femme. Il n'est pas méchant, il est juste encore terriblement malheureux, un malheur qui l'enferme dans la solitude, qui l'empêche de profiter. Il rencontre sur sa route deux personnages (Kinya et Akemi) à bord de leur Mazda rouge, un type illuminé et maladroit et une ancienne hôtesse d'une grande timidité. Si le film se concentre essentiellement sur ces deux personnages pendant la première demi-heure, le film va au fur et à mesure se concentrer sur celui de Takakura Ken, opposé absolu des deux autres : Takakura est le canalisateur, l'homme tranquille mais présent, capable de raisonner un Kinya qui ne sait pas s'y prendre avec les femmes.
En y repensant, ce The Yellow handkerchiefest un vrai film sur la femme, par l'importance donné au personnage de Baisho Chieko et à celui d'une volontairement hésitante et craintive Momoi Kaori, distribuant toutes deux des performances pleine de sobriété. Le film est aussi une vraie recherche d'un être, d'une identité à reconstruire (la sortie de prison), et l'amitié qui se tisse pas à pas dans la citadine sportive rend le film plus émouvant jusqu'au climax de fin absolument réussi, sans gros pathos qui tache : la caméra de Yamada est distancière, ne colle pas au plus près des personnages pour souligner une quelconque émotion balourde. C'est la force du film, cette "force" tranquille qui habite l'oeuvre dans son ensemble grâce à des petites séquences apportant un peu de décalage (la prise de bec sur le parking avec un yakuza, la nuit à l'hôtel) ou à des détails qui ne font que souligner brièvement l'amitié des personnages (sur le côté de la voiture est écrit "Famillia"), et si les personnages n'ont rien en commun, ils finiront par se soutenir mutuellement. C'est en général une constante dans le road movie mainstream. Un road movie qu'on ne comparera ni à un Tora-san (malgré les clins d'oeil avec le caméo touchant de Atsumi Kiyoshi, celui de Dazai "Octopus" Hisao ou de la présence au casting de Baisho Chieko entre autre, les films n'ont rien en commun) ni aux films que l'on considère comme des fleurons du genre. Une ballade touchante dans son dernier tiers, bien jouée et rythmée que l'on conseille à tous les amoureux de longs trajets. A noter que le film est l'un des plus gros succès critiques du pays.
The Yellow Handkerchief n'est pas le road movie du siècle. On est très loin de l'ampleur classique de l'Eastwood de Un Monde Parfait ou du Lynch de Une Histoire Vraie. Néanmoins, il dégage un petit parfum seventies assez agréable pour mériter un petit coup d'oeil. Certes, la différence générationnelle comme moteur narratif d'un road movie a déjà été mille fois mieux exploitée (chez Eastwood justement). Mais dans the Yellow Handkerchief il y a un (gros) plus qui fait la différence, à savoir Takakura Ken. Il maintient à flots des situations au fort potentiel de pathétique et de mièvrerie. En un regard, il exprime la peur, la nostalgie, l'absence de l'être aimé, la lassitude. Sans atteindre le niveau de Takakura, les autres acteurs font du bon travail. Parmi les qualités du film, on a la narration en flash backs des souvenirs de Shima Yasaku (joué par Takakura): s'y déploient le souvenir de son ex-femme et de ses années de travail à la mine. Son personnage est intéréssant car il s'agit d'un homme qui fut fasciné par la virilité durant ses jeunes années avant de devenir un ouvrier sérieux: d'un autre coté, il reste paralysé et sans voix devant celle qu'il aime. Et c'est sa dualité représentant l'idée classique de la virilté japonaise qui le fait replonger dans la violence alors qu'il a fondé un foyer. Et c'est aussi cette expérience qui lui permet de guider son jeune compagnon de route très maladroit voire agressif avec celle qu'il essaie de séduire.La mise en scène est parfois brouillonne mais dans l'ensemble fournit le service minimum de la mise en scène classique de road movie: longs travellings routiers et quelques plans de dessus. Reste que le scénarion ne ménage pas assez de vraies rencontres imprévues surtout au vu de l'aspect totalement improvisé du voyage: les seules vraiment surprenantes sont la bagarre suite à l'endommagement de l'arrière d'une voiture de yakuza ou encore la seconde arrestation de Shima Yasaku qui amène la révélation sur son passé criminel jusque non exploité par le récit.
Cette seconde arrestation quarante minutes avant la fin est justement le détonnateur qui fait passer le film à la vitesse supérieure. A partir de là s'enchainent les situations poignantes -expliquant probablement le gros succès du film en son temps- : les retrouvailles entre Shima et le policier qui l'a arrété, le récit d'un coup de foudre, de la constitution et de la mise en place d'un couple au travers des flash backs, la lettre envoyée par Shima à sa femme, les hésitations de Shima à revenir la voir parce qu'il n'était pas géné qu'elle refasse sa vie avec un autre et les retrouvailles finales où les tissus jaunes du titre prennent tout leur sens suivies de la constitution d'un nouveau couple chez qui le voyage aura créé des liens. Toute cette partie est d'autant plus poignante que distante et retenue (Yamada ne reproduit pas le défaut du second Tora San qui faisait du mélodrame pur et pathétique sur une situation ordinaire). Dommage que le ressort dramatique soit arrivé durant le dernier tiers du film pour le faire sortir in extremis du ventre mou. Malgré tout, on a ici un bon road movie bien plus intéréssant que les Tora San.