Yann K | 3 | Film de procès à la japonaise |
Yureru est un film très modeste mais qui mine de rien pourra faire date. Il semble en effet que c’est le premier « film de procès » japonais récent. Installation des personnages, un mort, un procès, qui a tué, la trame est celle de millions de produits américains. Mais heureusement, cela n’est pas du tout un décalque. Le film a d’abord son lot de basiques du cinéma local, peinture d’une famille dysfonctionnelle, clivage ville-campagne, la fille du village premier amour d’enfance, et, ça c’est pour le meilleur, un sens de la pose : Joe Odagiri, le concurrent de Tadanobu Asano, débarque en décapotable seventies avec cuir et Ray-Ban, il n’y a pas beaucoup d’acteurs qui peuvent tenir ça sans être ridicules. La fille du village est la plus jolie japonaise qu’on puisse imaginer, bref, la première partie nous berce avec une mélodie sympathique et reconnaissable. La partie procès est beaucoup plus étonnante, car Miwa Nishikawa la rend très tendue et de plus en plus complexe. On regarde peu à peu le personnage de Joe Odagiri se décomposer et s’empêtrer dans son dilemme. On revoit la scène clé encore et encore, avec de nouveaux points de vues, de nouveaux commentaires. « Yureru » veut dire « tanguer, louvoyer, hésiter », d’où la parfaite traduction en anglais « sway ». Sur un pont qui tangue, un homme a hésité, un autre n’est pas sûr de ce qu’il a vu… ou alors le premier savait parfaitement ce qu’il était venu faire et le témoin savait également comment cela allait se finir… C’est infini. Rarement un film avait à ce point disséqué une « attitude », un discours qui essaie de justifier des actes. Après avoir joué au film américain, Yureru redevient typiquement japonais dans son refus d’apporter des réponses. La vérité se dilue, le doute reprend ses droits. Si on est bien sûr de ce qui s’est passé au final, ce sont maintenant les raisons de ces actes qui n’en finissent plus d’intriguer.
On déplore quelques moments moins rigoureux, une fin longuette et une faute de goût comme on en trouve que dans les films japonais, une séquence à la station service soi-disant burlesque mais surtout incompréhensible. Beau film cependant, admirablement interprété, visiblement suivi de près par le mentor Kore-eda, parce que le premier film de Miwa Nishikawa, Hebi Ichigo (Wild Berries), n'avait pas cette cohérence.