Bande annonce
Pour son premier film, Yang Ik-Jun ne fait pas les choses à moitié quitte à se complaire dans la violence la plus sèche et la plus désarmante au prix de choquer ou, comme il l’expliquait, raconter ce qui se passait dans les quartiers qu’il fréquentait étant jeune. Le cinéaste expliquait également que Breathless est loin de dépeindre la réalité en Corée, et invitait tout le monde à venir passer un moment là-bas. Pas sûr qu’il trouvera nombre de clients après cette expérience cinématographique tour à tour éreintante et éprouvante, distillant à petite doses un peu d’humanité entre les poings et les crachats. Derrière sa carapace de dur à cuir, Sang-Hoon cache un profond malaise depuis son enfance qui vit sa famille se décimer peu à peu sous ses yeux. Devenu une crapule adepte du racket, il bosse pour les comptes d’un patron avec qui il échange régulièrement des mots doux, tout en entretenant une véritable relation de confiance. Son destin va alors être chamboulé au moment où il rencontre par hasard une lycéenne qui aura eu le malheur de croiser son chemin. Alors qu’il crache partout, la jeune fille reçoit malencontreusement un de ses molards en plein sur sa cravate, avant de répliquer de la même manière et de recevoir une prune la mettant K.O. On ne rigole pas avec Sang-Hoon. Tous deux vont alors entretenir une relation guère courtoise mais complice, bouleversant leurs destins.
On peut émettre des réserves sur le caractère du film. Pas le caractère qui lui est propre, entre rage non soutenue et constat navrant d’une société qui connait la crise –de nerfs, mais le caractère général de l’œuvre, sa faculté à libérer les coups à un rythme fatiguant, à enchaîner les mots doux avec un certain dynamisme. C’en est presque de l’art à ce niveau. L’art de la vulgarité formelle, des mots, du corps. Mais pourtant, outre cette manie de balancer le spectateur de gauche à droite en le foutant sur les murs comme un petit caïd qui menacerait le premier faible du coin, Breathless cache une sensibilité évidente, une haine due en partie à quelque chose, quelqu’un, quelque part. Yang Ik-Jun lâchera quelques pistes au fur et à mesure que le film avance et que ses personnages distribuent des coups, un procédé pas de plus innovants mais collant bien au style du film vidé de toute substance saine. A l’image de ses personnages marginaux supportant la crise, le spectateur prend un coup sur la tête face au filmage secoué, salement enivrant, parfois brouillon lorsqu’il tente de coller au plus près des personnages. On pourrait donc crier au manque de distance dans le travail du cinéaste, comme une sorte de complaisance/voyeurisme fait attraction malsaine, qui basculerait pourtant vers une issue au fur et à mesure que le film se déroule. « Voyez ce que je dépeins, c’est sale et pas joyeux, hein ? », une réplique digne du premier peintre de réalisme social venu pour vendre son tableau en y ajoutant de grosses touches de pathos parce que sinon ça ne se vendrait pas. Pas assez « frappe à l’œil », pas assez coréen non plus vu qu’on ne pleure pratiquement pas de tout le film malgré tout le poids sur les épaules des personnages. La jeune Yeon-Hue doit supporter un père handicapé refusant la mort de sa femme et un petit frère autoritaire et influençable, elle trouve en Sang-Hoon une sorte de père/petit ami capable de la faire sortir du trou d’où elle vit ; c’est aussi pour cela qu’ils s’arrangent souvent pour aller boire un verre quelque part pour fuir le monde dans lequel ils vivent, tous deux partageant en quelque sorte les mêmes blessures familiales issues de la violence ou d’accès de folie. Dispersés ça et là dans le récit, les flash-back sont à ce stade bien employés si l'on oublie ceux des cinq dernières minutes, utilisés durant des séquences d'intense émotion qui ne méritaient pas une telle acalmie.
S’il n’est pas exempt de facilités dans le recours à la violence ou dans la peinture d’un quartier très modeste, Breathless n’y va pas non plus avec le dos de la cuillère quand il faut rigoler. Réservant son lot de moments assez tordants prenant forme notamment dans la violence burlesque, Yang Ik-Jun prouve qu’il est bien de cette génération de cinéastes coréens mêlant au sein d’un même film les genres et les tons, une personnalité de cinéaste qu’on ne trouve pas souvent dans le cinéma mondial et qui arrive à exploser ici quitte à tacher les murs : d’une incroyable sècheresse, le final mêle aussi bien pessimisme gerbant et optimisme rayonnant avec d’un côté la relève avec le petit frère de Yeon-Hue et le changement de vie du patron de Sang-Hoon. Radical dans ses ambitions, un peu raté par moments, Breathless divisera. Pour un premier film, ça claque.
Incontestablement, Breathless ne passe pas inaperçu. Les critiques se pâment, les programmateurs se battent, le public débat, les jurys priment. Bon, OK. A voir, donc. Parce que ça tape, ça hurle, c'est le record mondial d'injure par minute de film, c'est du 100% coréen, ça rappelle le Kim Ki-duk époque Crocodile / Bad Guy ? Non, ça c'est ce qui attire le gogo. L'intérêt du film est notamment dans une rencontre entre deux acteurs extraordinaires et atypiques : un géant magnétique joue une brute épaisse mais ravagée de douleur, alors qu'il semble être au naturel un mec à qui vous donneriez votre fille. Une petite pas souriante et pas élégante est jouée par une actrice qui irradie de joie, Kim Kot-bi. Elle a déjà sourit dans plusieurs films indés, mais on ne l'avait jamais vraiment remarquée, toujours un second rôle de fille un peu différente derrière une actrice plus "classique". Ici, c'est "son" rôle, et cette révélation est un des grands mérites du film.
Leur première rencontre, à coup de beignes, de crachat et d'injures, sidérante et hilarante, est un des moments marquants de cette année de cinéma. Elle est à l'image du meilleur du film : d'une totale sincérité, brut, réaliste et très crédible, aussi étonnant que cela paraisse vu l'énormité de ce qui est raconté. Cette rencontre, elle fonctionne tout au long du film. D'autres scènes sont tout aussi bouleversantes, notamment un long plan ou la grande brute finit par pleurer. Et un plan sur Kim Kot-bi à la fin, où elle retient avec sa main un torrent de larmes qui nous submerge, modèle d'intensité et d'intelligence de jeu. Ceci dans une séquence qui fait débat mais a le mérite, comme beaucoup d'aspect du film, de tenter quelque chose : un parallèle sec entre des retrouvailles joyeuses et une salle d'attente d'hôpital, où les mêmes personnages d'un côté célèbrent, puis de l'autre, pleurent toutes les larmes de leurs corps le même absent. Ce n'est pas léger, certes, mais vraiment imparable.
Le film ne sait de toutes façons rien faire subtilement, comme un concentré de cinéma coréen, avec les défauts : un premier flash-back plombe toute la narration, les séquences "joyeuses", flottantes, sont bienvenues dans l'idée mais très molles et trop longues, enfin la dernière demi-heure pèse, s'étire, se répète et tombe dans des clichés du film de "gangster qui se fait tuer juste après avoir raccroché". Il faut également apprécier la caméra portée parfois de façon trop hasardeuse.
Au lieu d'appuyer sur ses quelques ficelles mélo et polar, le film aurait mieux fait de creuser un peu plus ses métaphores politiques, puisque là le film est plutôt intelligent sans être lourd. La violence dans les familles est mise en parallèle avec la violence sociale. Une séquence de tabassage d'étudiant devient l'une des plus frappante, dans tous les sens du terme, du cinéma coréen. Pour ces quelques moments, pour ses acteurs, parce que tout cela est dans un premier film, Breathless est donc à voir. Mais Yang Ik-jun a encore beaucoup de choses à améliorer en tant que cinéaste. Le reste, le buzz, c'est plus le signe de festivals et critiques qui n'ont pas grand chose à se mettre sous la dent et vont au plus simple.