Un film aussi fort et explosif que son sujet
Hiroshima mon Amour fut en son temps un catclysme dans le paysage cinématographique français parce qu'outre son sujet très fort il tranchait avec le cinéma français des années 50 de par son intégration réussie dans le cinéma des apports du Nouveau Roman. Hiroshima mon Amour fonde un cinéma où ce sont les sensations, la combinaison d'images et d'une voix off qui font progresser le récit et ce sans jamais tomber dans l'illustration de texte, grand risque du projet.
Certes, la prose de Duras peut irriter par sa systématisation de l'oxymore -alliance de termes de sens opposés- (le titre du film, le "tu me tues, tu me fais du bien" qui siège dans les livres d'histoire du cinéma entre les "t'as de beaux yeux, tu sais" et autres "U're talking to me?") mais le long début du film offre l'écrin cinématographique parfait pour sa prose: elle trouve un écho dans l'alternance de gros plans sur les corps nus des amoureux et la visite d'Hiroshima racontée en voix off puis des plans et des extraits de documentaire sur l'horreur subie par les habitants (Resnais souhaitait se démarquer pour son entrée dans la fiction de son classique du documentaire Nuit et Brouillard). Cette séquence est magnifique de par sa tension permanente entre l'image et ce qui est dit. Ce qui est en jeu, c'est le lutte oubli/refus de l'oubli, l'attraction répulsion pour celui qui est de l'autre coté, celui que la société a proclamé comme l'ennemi (le Japonais puis l'Allemand plus tard dans le récit). Mais une fois que ces sentiments contradictoires ont été exprimés, que la passion entre les deux etres a pu se déployer jusqu'à son point de non-retour, que raconter?
C'est tout l'enjeu d'une seconde partie en apparence moins forte mais d'une audace rare. La passion de la narratrice pour ce japonais va évoquer une autre passion avec un ressortissant d'une autre nation défaite, l'Allemagne, le souvenir de l'opprobre subi à cause de cette passion, resusciter un autre amour impossible. Les images, les sons, le jeu très retenu et déclamatoire des acteurs permettent à la voix intérieure de la narratrice et de son amant de se déployer, font véritablement partager les émotions ressenties au spectateur au cours de travail de recherche de souvenirs, de sensations, de madeleines proustiennes. Le plus beau souvenir, c'est celui qui fait le plus souffrir, celui que l'on rejette spontanément. Le film montre ainsi Okada Eiji jouer véritablement le role du jeune Allemand dans la discussion pour faire affleurer ce souvenir si loin et si proche de leur histoire présente. Ce passage où l'on joue un role fait écho au film pour la paix tourné par la narratrice, au monument tellement bien fait qu'il émeut les touristes évoqué au début. Elle peut jouer Hiroshima, s'en souvenir mais ne saura jamais vraiment ce dont il s'agissait (l'hotel et sa très évocatrice inscription "New Hiroshima"). Les personnages élargissent leur passion aux dimensions du monde en s'appelant par leurs villes natales (Nevers, Hiroshima) parce qu'il s'agit d'endroits qu'ils ne veulent plus visiter ni revisiter, ils sont réunis par le refus des lieux de leurs souvenirs douloureux. Le dialogue systématise un peu moins l'oxymore ce qui donne au film un rythme plus fluide, moins déclamé. Le film culminera dans un final ouvert et définitif en meme temps qui expliquera le titre du film.
La mise en scène de Resnais est remarquable par son usage d'un montage très haché, des plans distants, des travellings embrassant les souvenirs de la narratrice au cours de ce voyage sensoriel et temporel rythmé par le superbe score d'un Georges Delerue. Outre cela, Resnais aura brouillé la frontière entre fiction et documentaire, ouvrant entre autres la voie au travail des Nouvelles Vagues des années 60. Plus qu'un film contre l'oubli, c'est un beau coup de pied dans la fourmilière de la narration classique, un moment d'émotion pure. Si le cinéma a pu progresser en tant qu'art, il le doit en partie à cette déflagration courte et intense créant inévitablement un avant et un après à l'image de la bombe A et de la passion de ses personnages.
Un film rigoureux et littéraire mais indispensable. Il devrait être projeté obligatoirement dans tous les lycées
Hiroshima mon amour est sans conteste l'un des grands classiques de l'histoire du Cinéma. Et ici, classique rime avec rigueur et exigeance. D'aucuns feront le rapprochement avec le film scandinave apparemment mortellement chiant qui passe dans la pub pour "Crunch" et que les 2 jeunes ont envie de secouer en faisant exploser les canalisations. C'est vrai que les dialogues très littéraires, faits de phrases complexes et de figures de style répétées, n'arrangent pas les choses. Heureusement, le film a des qualités, et pas des moindres.
Tout d'abord, il donne à voir pendant les 20 premières minutes les horreurs que la bombe atomique a provoquée sur la population civile (par définition innocente), images tournées à Hiroshima bien après la guerre, et qui par cette oeuvre vont permettre la prise de conscience du reste du monde sur cette réalité. Par la suite, Resnais se concentre sur la vie et le passé de 2 jeunes gens amoureux dans un lieu qui se relève de ses ruines, couple mixte composé d'une française et d'un japonais. Là, le film perd un peu de son intérêt de par sa lenteur et le peu de choses à dire (en gros, faites l'amour - même avec "l'ennemi" allemand ou nippon - pas la guerre, et ce 10 ans avant mai 68).
Mais la dernière réplique, d'une profondeur et d'une justesse rare, emporte finalement l'adhésion chez le spectateur: il s'agit en effet de l'explication du titre. Les quelques secondes qu'a duré l'explosion de la bombe atomique, ces quelques secondes qui ont changé la face du globe, sont comparées de façon audacieuse aux quelques secondes d'extase que l'on peut vivre quand on connait l'amour fou, l'amour absolu, qui changent également profondément l'existence, mais à un niveau bien sûr beaucoup plus personnel. Le seul problème avec ces 2 évènements, c'est qu'au fil des minutes, des heures, des jours, des mois, des années, on a tendance à en minimiser voire à en oublier l'intensité et les conséquences. Le film de Resnais est là pour que l'on n'oublie pas, pour que l'on n'oublie jamais ces horreurs perpétrées contre la population japonaise.
Identification d'une femme
Avec ce film devenu mythique, Alain RESNAIS changera profondément les mentalités en cours dans le cinéma français de l’époque, annonciateur en 1959 de l’immédiate Nouvelle Vague des GODARD, TRUFFAUT & Consort. Si l’œuvre a désormais sa place au panthéon du Septième Art, sa vision 45 ans après peut laisser perplexe.
Car ce qui frappe d’entrée, c’est cette modernité dans la façon de filmer, ce choix de cadrage, ce long et superbe travelling initial dans les rues de Hiroshima, mélange de reportage, d’emprunt au film originel HIROSHIMA de Hideo SEKIGAWA et d’images d’archives. RESNAIS réputé depuis son NUIT & BROUILLARD comme un très grand documentariste, confirme cette façon personnelle d’appréhender un lieu, un sujet, un évènement, l’adaptant alors au format de la fiction pour une nouvelle écriture cinématographique qui fera école.
Mais là ou le film a terriblement vieillit, c’est au niveau du texte de marguerite DURAS. Répétitions, oxymore et contresens, ton déclamé de récitation, les dialogues venant étayer les images oscillent constamment entre le ridicule et le fascinant, devenant avec les années la marque de fabrique caricaturale de la romancière et sujet à parodies multiples.
Du coup, lorsque le film choisit de se focaliser sur le couple principal, nous assistons à un marivaudage cérébral un peu prétentieux et creux, partie beaucoup moins convaincante que celle directement liée au souvenir de la bombe, résumée parfaitement par les mots mêmes de DURAS « Une histoire de quatre sous »… Ce n’est pas le style du cinéaste qui va donner un tour plus accessible à l’ensemble : observateur clinique de ses personnages, il choisit de préserver sa neutralité face aux évènements. Comme ses pairs ANTONIONI ou BERGMAN avec qui il partage tant de points communs, les passages dans la cave évoquant d’ailleurs furieusement la mise en images du cinéaste suédois, il choisit toujours d’intellectualiser son propos au détriment de la traduction directe de l’émotion, héritier direct d’un Robert BRESSON. Lorsque les deux amants réinterprètent au restaurant les scènes traumatiques pour la jeune femme évoquant son amour pour un soldat allemand, le concept est forcément brillant (WONG Kar-Wai saura s’en souvenir) mais cette distanciation finit par agacer, prototype d’un cinéma d’auteur que RESNAIS sacralisera avec ses films suivants, de L’ANNEE DERNIERE A MARIENBAD à ses dernières comédies d’une froideur étrange, filmographie toujours intéressante mais un peu surestimée.
Le choix de faire débiter un texte abscond de façon monocorde par l’actrice Emmanuelle RIVA donne toujours cette impression qu’elle joue faux , le héros masculin n’étant qu’un faire-valoir, même si c’est le trés élégant Eiji OKADA qui l’interprète. Déjà acteur dans le HIROSHIMA de Hideo SEKIGAWA en 1953, il sera surtout le prisonnier volontaire de la fameuse FEMME DES SABLES en 1964.
Alors, selon son humeur du moment, HIROSHIMA apparaîtra soit comme une intelligente réflexion lourde de sens sur la mémoire et la fulgurance de l’amour absolu, soit comme une tentative maladroite de lier des images et des textes pour un propos vaguement évocateur et surtout fumeux, pour une œuvre intéressante et nécessaire à la compréhension du cinéma contemporain, mais assez élitiste ,sans aucun recul sur elle-même alors qu’elle privilégie le regard distancié sur les choses, et finalement un peu rébarbative.