L’originalité de ce film est d’avoir réussi à combiner toutes les caractéristiques d’un Shaw Brothers classique (époque historique, costumes raffinés, décors en carton pâte, acteurs hyper maquillés et ultra coiffés, combats d’épée ou à mains nues, sang ketchup qui gicle avec force) avec la perversion et l’érotisme d’un pinku eiga japonais. Car avec ces scènes topless, ces roulements de pelles lesbiens, ces coups de fouets, ces viols et ces scènes de vengeance crues, on se dirait vraiment devant un Konuma ou un Teruo Ishii. Précurseur de la catégorie III HK, ICOACC parvient à dérouler un scénario de vengeance à la Kill Bill sans grande surprise, mais à la morale plus que jouissive (« l’amour est plus dangereux et plus douloureux que la haine »). Surtout, le film se concentre sur ses 2 actrices principales, aussi magnifiques l’une que l’autre, en évitant de multiplier les intrigues secondaires tout en donnant de l’épaisseur aux personnages connexes (la bande des 4 violeurs est particulièrement savoureuse).
Chu Yuan va droit au but sans s’égarer çà et là comme bon nombre de ses congénères (1h25 seulement), ça tranche sec et c’est sans concessions. Seuls points faibles : les combats qui ont énormément vieilli et qui paraissent un peu ridicules aujourd’hui, et des expérimentations techniques pour le moins douteuses (le jeu du zoom pour simuler l’acte sexuel, bof..). Pour le reste, c’est très bon.
Elles crèvent l’objectif du grand Chu Yuan, elles sont la sève de son triomphe le plus atypique, elles sont belles et mortelles. Chu Yuan arrose l’audience Hong Kongaise d’un érotisme jamais vu à l’époque, qui ne peut pour autant mériter la censure. Sa réalisation est si délicate et précieuse que le sexe le plus déviant et malsain y semble angélique. Elles restent toujours plus courtisanes que prostituées. Il perfectionne le tout avec un magnifique et presque habituel travail sur le cadre et les couleurs. Elles changent d’humeur comme elles changent de robe. Il ajoute aussi l’outrance des bras coupés et des gorges tranchées lors d’un ballet final qui n’en dégage que la beauté poétique (merveilleux plan séquence transversal qui suit la guerrière éventrer à la chaîne et rappelle énormément un certain Old Boy… avec 30 ans d’avance).
D’un côté la redoutable Betty Pei Ti, tout entière portée vers les femmes dont aucune avant Ai Nu n’a su troubler son cœur ou pire encore la mettre à genoux, ignorant le regard des hommes, fourmis belliqueuses sans intérêt, parfait oiseau de proie à la technique de doigts vampirique qui scelle ainsi son statut de maîtresse des lieux, à qui l’on amène un nouvel arrivage de recrues plus ou moins fraîches, dont Ai Nu, gigantesque Lily Ho. Véritable étoile scintillante et rare dans le paysage du cinéma Shaw et du cinéma tout court, aimée par tous dans la vie pour sa simplicité et sa radiance, dont la posture allonge encore sa grande taille, qui montre une palette de sentiments aussi multiple que subtile et habitée, comme rarement une actrice de la Shaw a su le faire. De petite furie paysanne ébouriffée et haineuse, elle passe en un plan désespéré à la courtisane irrésistible de raffinement au regard si profond que les nantis n’y décèlent jamais la détermination vengeresse qui y sommeille. Courtisée par quatre hommes, faibles notables, crapauds baveux vautrés dans la luxure qui torturent pour seul façon d’aimer, et la maîtresse des lieux bientôt aveuglée par sa beauté, il ne reste que deux faibles lueurs d’espoir en la personne d’un muet geôlier et d’un commissaire irréductible (Yueh Hua) qui la traque pourtant sans relâche.
Voilà pour les roses.
De son côté, Chu Yuan s’approprie l’érotisme, homosexuel d’un côté et violent de l’autre (lesbianisme, bondage), qui explose à l’époque, notamment dans les films d’exploitation nippons. Il retisse un récit romanesque populaire qui s’approche des thèmes de La Femme Scorpion entre autre, tout en gardant son style et un traitement de la chose très personnel. Un mélange de luxe, de romantisme kitch (les scènes au ralenti de drapés flottants, les fleurs délicates posées dans les cheveux, les toilettes hallucinantes de détail), et de déviance sexuelle et sanglante toujours plus suggérée que montrée, qui s’invite ainsi le plus naturellement du monde. Deux ou trois plans plutôt fugaces de femmes nues au second plan, deux baisers timorés en plans serrés, il n’y a pas plus d’érotisme direct dans Intimate Confessions. L’érotisme n’est que suggéré mais puissant grâce à la sensualité des deux actrices principalement.
Chu Yuan change donc notoirement de registre. Il simplifie son récit, beaucoup plus direct que ses wu xia labyrinthiques, et tracé sur une seule ligne forte : la vengeance par l’amour. Il se débarrasse du martial en résumant rapidement le fait qu’Ai Nu se voit inculquer le maniement du sabre pour justifier le final. Il épure aussi son traitement visuel, même si cela reste de la haute volée, mais on l’aura connu beaucoup plus généreux encore dans le foisonnement de décors embrumés et surchargés, comme toujours tout en studio. Mais ce n'est pas du fantastique. Il ne s’agit plus d’une aventure dispersée mais d’un drame en vase clos, un film de prison de femmes dans un écrin de soie. Chu Yuan offre donc beaucoup plus de place aux deux personnages principaux que de coutume et du coup, ce sont surtout elles qui arborent le foisonnement visuel cher au réalisateur. Elles sont aussi l’aventure. Il prouve une fois de plus sa maîtrise unique, aussi bien dans son style de mise en scène travaillé que dans sa direction d'acteurs, bien supérieure ici à la plupart des réalisateurs de la Shaw. Il parfait le tout avec amour et de grandes idées encore une fois, mais le temps ne cache pas non plus quelques effets hasardeux voir fortement bis.
Il y a donc ces deux femmes, objets de toutes les attentions, duo dont la présence relègue les girls popeuses du moment au rang d’aimable plaisanterie, mais le reste des personnages, pourtant nombreux, n’est que parcellement développé alors qu’ils auraient mérité meilleur sort, en particulier le personnage de commissaire incarné par Yueh Hua, intéressant contrepoint à la situation, dont la psychologie est malheureusement très limitée, tout comme Tung Lam, le copropriétaire de la maison du "printemps éternel", amoureux de Betty pei Ti, qui lui aussi est largement laissé de côté. Il y a les quatre notables aussi, d’avantage obsédés rigolos sans cervelle que terrifiants tortionnaires, qui sont présentés avec originalité (plans fixes à plusieurs reprises afin d’admirer leur faciès en rut) mais semblent tous bien faibles face à l’immense Ai Nu, même lorsqu’elle subit leur affront qui n’en est du reste que plus grand. La vengeance d’Ai Nu est en tout cas édifiante tant sa beauté, son magnétisme et son statut offerts par amour la protègent de tous les dangers, ce qui passerait presque pour de la naïveté. Le récit doit suivre sa ligne droite et il le fait sans ambage.
D'autre part, certains effets "palliatifs" laissent tout de même franchement à désirer. Par exemple, lorsque Goo Man Chung se tape une orgie sous aphrodisiaques avec quatre courtisanes, Chu Yuan utilise une succession de courts zooms avants / arrières compulsifs sur un mur sculpté d’ébats amoureux comme métaphore sexuelle… Discutable.
Passons. Intimate Confessions of a Chinese Courtesan est un grand Chu Yuan aussi raffiné que brutal, aussi atypique, révolutionnaire (pour l'époque) que porteur dans sa relative simplicité, qui montre une superbe Betty Pei Ti à peine éclipsée par une gigantesque actrice de la Shaw dans un de ses plus grands rôles, la sulfureuse Lily Ho.
Ce que c’était bon ! En effet, ICOCC (Intimate Confessions Of A Chinese Courtesan) est mon premier Shaw Brothers (il vaut mieux tard que jamais) et quel film.
En premier lieu je tiens à parler des 2 actrices, Lily HO Li-Li et Betty PEI Ti qui resplendissent ; elles captent la lumière et notre regard par leur beauté et leur jeu. Avant même l’histoire ou la réalisation c’est ce qui ressort en premier de la vision de ce film.
Le scénario suit une vengeance, celle de la belle Ainu qui s’est faîte enlevée puis qui s’est vue obligée d’officier dans une maison close dirigée par l’envoûtante Lady Chun. Ce lieu est fréquenté par tous les hauts responsables de la ville qui viennent y assouvir leurs fantasmes. Après une tentative d’évasion avortée elle mettra lentement au point sa prochaine vengeance contre tous ceux qui ont abusés d’elle…
Le début du métrage fait irrémédiablement penser à Lady Snowblood Blizzard from the Netherworld de par les décors enneigés et la beauté des actrices. La réalisation classieuse de Choh Yuen fait tout pour qu’on se laisse emporter par l’ambiance, ce qui arrive rapidement. La photographie, les décors et les costumes sont tous sublimes.
Au niveau des scènes d’action, elles sont peu nombreuses cependant ce n’est pas l’essentiel ici vu que l’accent est plus mis sur l’ambiance ; il n’empêche elles sont bien présentes et Choh YUEN nous offre un grand final sanglant et dramatique. Les combats sont câblés, je savais que cette pratique était déjà courante à cette époque mais je ne m’attendais à une telle maîtrise ni une telle vivacité dans les affrontements. Je pensais assister à des combats mous, ce ne fut pas du tout le cas et tant mieux !
Du point de vu musical, c’est très beau et les musiques retranscrivent parfaitement ce qui se passe à l’écran.
Donc pour mon premier Shaw, je dois dire que j’ai été charmé, et pas seulement par les actrices ; la réalisation, les superbes décors studios, l’ambiance, les combats câblés… bref une première expérience que je ne risque pas d’oublier (et que je réitérai à coup sûr ^__^).