Amour déprimant
Sur le papier,
Love Hotel a une gueule monstre. On retrouve au scénario Ishii Takashi et à la réalisation Somai Shinji, particulièrement connu à l'époque pour son sensationnel
Sailor Suit And Machine Gun avec dans le rôle titre la future idole pop Yakushimaru Hiroko, aussi à l'aise à la chanson qu'à l'interprétation de cette teenager motivée à l'idée de dézinguer du yakuza. On trouve aussi un casting particulièrement alléchant, Terada Minori en tête, que l'on avait vu dans le superbe et très étrange
This Passing Life et que l'on retrouvera dans une adaptation libre des récits de Rampo vingt ans plus tard. Et si dans l'ensemble, le casting de
Love Hotel reste plutôt anonyme (à part peut-être l'apparition de Ibu Masato que l'on verra chez Spielberg, Imamura et Miike et Sato Koichi chez Harada, Misumi et récemment chez Miike pour
Sukiyaki Western: Django), c'est parce qu'il n'a pas besoin de grandes figures cinématographiques pour briller. Justement, c'est dans cette perspective de participations symboliques que le film de Somai trouve sa force, ses racines, dans ce prolongement moderne des vieux pinku sadiques initiés par Wakamatsu, dont il est tout à fait possible de comparer (dans une toute autre mesure) la scène d'introduction de
Love Hotel avec l'intégrale de
Quand l'Embryon part braconner. On y trouve effectivement ce même climat d'étouffement, d'insécurité totale, de pression endurée par les sévices pervers d'un homme mystérieux sur une jeune femme de mauvaise vie. D'une froideur insondable, l'introduction a la finesse d'un trente tonnes lancé sur la Route 66, le cinéaste n'hésitant pas à filmer par l'intermédiaire de ses plans-séquences légendaires cette jeune femme entrain de jouir de plaisir et de souffrance. Le spectateur, un peu paumé, assiste impuissant à la scène, résigné mais curieux de voir le prolongement d'un tel acte, sa repercution sur l'avenir.
C'est pourquoi Somai coupe court très vite à cette introduction et nous envoie deux ans plus tard, où les deux acteurs (l'homme mystérieux et la jeune prostituée de luxe) vont finir par se retrouver par le biais du hasard. Il y a d'abord cette rencontre en taxi, poursuivie par une errance le long d'un quai, comme si la jeune femme sentait sa dernière heure arriver, là aussi le prolongement d'un certain malaise social et sentimental : errance d'esprit, errance du corps, le tout sous une chanson mélancolique une fois de plus parfaitement utilisée par Somai, qui ne commet jamais la bévue de répéter son score à chaque scène potentiellement larmoyante ou délicate, tout juste nous la réentendrons une heure plus tard. Admirable, la caméra actrice à part entière filme les ébats libertins et profondément déshumanisés, il n'y a pas d'âme puisque chaque scène d'amour semble être rapidement menée, comme pour soulager les pulsions d'un homme sans grandes ambitions : baraque où il faut chevaucher les mouchoirs enduits de sperme et les ordures du week-end, obsession de la chaire où la victime d'un soir deviendra directrice des ébats SM signés Ishii Takashi, mais l'on est encore très loin du pinku du base : le film est teinté d'une poésie macabre, dérangeante, où ses acteurs semblent être le reflet même d'une société au bord du gouffre, c'est pourquoi Love Hotel n'est pas qu'un pinku de commande sans grande profondeur, il exploite son propre pouvoir de fascination, presque Condition de l'Homme à part entière sur son spectateur, un peu perdu dans cette tornade pessimiste. Le final, après une énième scène de copulation en plan-séquence, questionne aussi sur le devenir des acteurs, et si la symbolique des pétales de cerisiers tourbillonnant peut démontrer une certaine facilité, elle n'en demeure pas moins -presque- rassurante, seul éclair d'optimisme pour cette nouvelle formidable incursion de Somai dans la tête des Hommes.
La Douleur d'Aimer (ou le plus beau Roman-Porno !)
Prenez Shinji Somai (le génie des génies, le Kubrick japonais 80's, capable de tourner des teen-movies entre Larry Clark et John Hugues que des road-movies existentialistes) à la réalisation, Takashi Ishii (Gekigaka de grand talent, doublé d'un scénariste qui vaut tous les Paul Schrader et John Milius du monde et triplé d'un futur cinéaste parmi les meilleurs) au scénario, Kazuhiko Hasegawa (avec deux chefs d'oeuvres - dont le définitif The Man who stole the Sun - il créera le cinéma japonais des 80's) à la production, plus Kiyoshi Kurosawa (officiellement blacklisté après deux pinku jouant la carte du cinéma "d'auteur" ; Kandagawa Wars et The Excitement of the Do.Re.Mi.Fa.Girl) comme assistant-réalisateur et vous obtiendrez l'un des plus beaux Pinku de l’histoire.
On y retrouve la marque de tous. Les plans-séquences de toute beauté de Somai, l'ambiance mélancolique et noctambule d'Ishii (qui reprend en fait les premières ébauches de son futur Rouge Vertige), la dénonciation d’un certain milieu d'Hasegawa (l’héroïne est une aspirante actrice porno, avec tout le côté sinistre que cela augure)... Le ton est donné dés la première scène ; un homme, Muraki, lunettes de soleil, attend dans un Love Hotel pour passer une dernière nuit avec une professionnelle, Nami, avant de se suicider (criblé de dettes auprès de yakuza, il voit sa femme violée et lui-même est menacé de mort). Il prend cette dernière de force et lui met un vibromasseur dans son intimité. Ainsi, on a droit à un hommage à Wakamatsu et à son classique Quand l’Embryon part braconner !, mais la suite est dans un style beaucoup plus différent. Somai s’empare, à bras-le-corps, du genre pour raconter une belle histoire d’amour, comme Bertolucci avec Le Dernier Tango à Paris, comme Zulawski avec L'Important c'est d'Aimer, comme son compatriote Borowczyk avec La Marge, comme Soderbergh avec Sexe, Mensonges et Vidéo et comme Gray avec Two Lovers. La scène où Nami avoue son amour pour Muraki au téléphone est plus qu’émouvante. La scène dure assez longtemps (comme la plupart des séquences du film en fait), mais la beauté de la réalisation et de l’actrice Noriko Hayami font qu’on y croit et qu’on en est touché. Touché également par sa bande originale ; la magnifique chanson de Momoe Yamaguchi "Yoru he" retranscrit très bien le spleen ambiant et la sensualité ephémère de cette romance. Mais c'est la chanson du groupe Monta & Brothers, "Akaï Umbrella", qui aura l'immense tache de tirer les larmes au spectateur par sa grande mélancolie...
ATTENTION SPOILER !
Un seul défaut (outre les sacro-saintes floutages des parties), un épilogue certes magnifique, mais de trop, surtout après la magnifique scène d’amour finale où les deux solitudes ne font plus qu’un ! et c’est là toute la beauté du cinéma rose.
FIN DE SPOLIER...
Pour son unique pinku comme réalisateur (il fût auparavant assistant pour Kumashiro et Fujita), Somai réussit une oeuvre dont la Nikkatsu en est tellement fier qu'elle fera tourner, en cette année 1985, deux autres films estampillé Ishii ! Ainsi, l'auteur verra la première adaptation cinématographique de son Black Angel (Muhan) après un essai avorté pour la Toeï sous la direction d'Hideo Gosha. Puis le second, Scent of a Spell de son ami Toshiharu Ikeda (également produit par Hasegawa), qui demeure (selon les fans les plus fous furieux) le meilleur film du duo d'Evil Dead Trap.
L'année 1985 sera une belle année pour Ishii qui, en plus d'être récompensé comme meilleur scénariste au festival de Yokohama, en plus de rééditer ses meilleurs manga, préparera plusieurs films, dont sa première réalisation ; Rouge Vertige, qu'il signera trois ans plus tard... à l'âge de 42 ans... en une semaine ! (mais ça, c'est une autre histoire !)