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moyenne
3.50/5
Une femme dans la tourmente
les avis de Cinemasie
2 critiques: 3.38/5
vos avis
9 critiques: 3.92/5
Un très beau film aux émotions diverses.
A l'heure où les grandes chaînes de supermarché bouffent littéralement tout sur leur passage au détriment de petits commerces qui tentent de s'implanter, en vain, Naruse Mikio dressait déjà un premier bilan sur ce phénomène via une chronique pleine de justesse sur le parcours social et sentimental de deux personnes : Koji et Reiko.
Reiko, femme mûre et veuve depuis peu, tient une épicerie dans une rue commerciale populaire. Son employé, Koji, ne fais pas vraiment tout son possible pour l'aider et accumule les siestes alors que les livraisons de saké attendent. Las de ce train-train et ne sachant plus quoi faire, elle perd espoir. Un espoir qui sera définitivement enterré lorsqu'elle apprend qu'un supermarché vient d'ouvrir dans le coin et que les oeufs y sont deux fois moins chers. Ca vous dit quelque chose ce phénomène? Petites entreprises contre multinationales? Naruse témoigne alors du danger que représente ces grosses sociétés face aux humbles petits commerces réduis à s'aligner sur leur prétendant et obligés de proposer des tarifs plus bas, entraînant alors une perte d'argent évidente.
En parallèle, Tourments est aussi un pur film dramatique sur l'amour impossible entre Reiko et Koji que tout oppose. L'un écume les bars et passe le plus clair de son temps les bras croisés, tandis que l'autre tiens courageusement un commerce et tente d'oublier la disparition de son mari. Koji le comprend, et pour conquérir le coeur de sa "patronne" il n'hésitera pas à améliorer son image en bossant d'avantage et en dévoilant ce qu'il ressent pour Reiko. L'oeuvre verse alors dans le sentimental nian-nian tout en étant respectable dans le fond puisque Naruse évite la facilité de tomber dans le larmoyant pur et simple, et distille avec efficacité différents parfums : moments sympathiques, rigolos, tristes ou mélancoliques, théâtre de performances scéniques carrément louables. Le jeune docteur de Barberousse, Kayama Yuzo, est absolument génial dans la peau de cette feignasse de première, changeant radicalement de personnalité lorsqu'il doit "impressionner" sa patronne, interprétée par Takamine Hideko que l'on a découvert auparavant dans Choeur de Tokyo d'Ozu pour l'un de ses premiers rôles, ou encore dans La condition de l'homme 3 de Kobayashi.
Démarrant avec sourire et entrain, Tourments bascule au fur et à mesure dans le nostalgique et le triste romantisme avec l'explosions d'amour et de haine de Reiko (la séquence dans le train annonce le meilleur pour finalement laisser place au pire un peu plus tard). De plus, si l'esthétique semblait au départ austère (quelques intérieurs, une rue commerçante déserte...), Naruse dévoile des paysages extraordinaires en fin de métrage avec ces collines brumeuses et ses grandes bicoques japonaises traditionnelles à plusieurs étages, filmés dans un élégant Tohoscope des familles au noir et blanc éclatant.
Brillantissime en dépit d'un apparent manque d'unité
Hideko Takamine tient un magasin de liqueurs et spiritueux doublement menacé : un supermarché vient s'installer à proximité ; et surtout ellle ne possède rien puisque son mari, décédé à la guerre, était l'héritier en titre du commerce. Et si sa belle-mère lui sait gré de s'occuper du magasin, ses deux belles soeurs seraient disposées à se débarasser d'elle : elles l'encouragent à se remarier. Et puis il y a le jeune beau-frère (Yuzo Kayama) , sympathique mais limité jeune homme qui préfère alcool et petites pépées aux responsabilités. S'il prenait les rênes du commerce, notre héroïne serait totalement exclue. Or il est amoureux de sa belle-soeur...
Magnifique film, un de plus, de Naruse. Le début est assez étonnant par son ancrage dans les problèmes du petit commerce et le portrait très fin d'une belle-fille exploitée et d'un fils de famille vélléitaire (types assez présents dans la culture japonaise mais ici brillamment dépeints. Puis, le drame patrimonial et commercial se nouant, le film bascule complètement et propose une dernière demi-heure qui est la quintessence du narusisme : une admirable errance, quasi muette, entre trains et auberges, de deux amants qui ne savent se retrouver ni se séparer. Takamine est admirable de retenue, dans un rôle qui paraît plutôt taillé pour Setsuko Hara.
Obsession magnifique
Il y a quelque chose qui hisse
Tourments au rang des plus beaux mélos du cinéma mondial. Est-ce l'amour avorté entre Yuzo Kayama et Hideko Takamine ? Est-ce l'incroyable cinégénie de cette dernière dont la petite frimousse ovale nous fait constamment battre la chamade ? S'agit-il des prodigieux talents de conteur de Naruse qui réalise là un de ses films les plus ouvertement sentimentaux ? Est-ce la photo ouatée et délicate de Jun Yasumoto, au Tohoscope majestueux mais jamais démonstratif, ou alors la bouleversante partition d’Ichiro Saito dont les mélodies nouent la gorge ? Est-ce cet épilogue tragique et brutal qui nous foudroie comme un coup de tonnerre ? Un peu tout cela à la fois, sans doute. Plus très loin de l'ultime révérence, Naruse signe une œuvre dense, poignante et déchirante qui emprunte le sillon de la chronique sociale douce-amère pour laisser naître peu à peu, l’air de rien, une grande force élégiaque. Cette obsession d’un homme pour une femme plus âgée n’est pas sans rappeler celle de Rock Hudson pour Jane Wyman dans
Le Secret Magnifique, lui-même remake d’un film tourné en 1935 par John M. Stahl. Les comparaisons s’arrêtent évidemment là, Naruse préférant aux inclinations baroques de Sirk une élégante retenue où l’émotion découle des scènes les plus simples et les plus silencieuses. Une émotion pure qui atteint son comble lors des vingt dernières minutes en forme de fugue – à la fois physique et psychologique – dont on guette l'issue le souffle coupé. On a vu
Nuages Flottants,
Le Grondement de la Montagne et
Quand une Femme monte l'Escalier, on en est ressorti chaviré; avec
Tourments, on en revient knock out.