| Arno Ching-wan | 3.5 | Faux polar pour vrai drame |
| Ordell Robbie | 3 | Sous le sable |
| Xavier Chanoine | 3 | A la fois polar classique et drame dénonciateur |
Le réalisateur Nomura Yoshitaro prend son temps (143 minutes) pour raconter cette histoire. Le rythme du film est d'abord lent, les rebondissements difficiles à suivre, tout est à propos d'histoire et de géographie japonaise en passant par des dialectes obscures et beaucoup (beaucoup) de personnages. Même la police japonaise a du mal à s'y repérer alors imaginez le téléspectateur occidental. Puis arrive la seconde moitié du métrage et son basculement très réussi dans le drame total. Hommage aux films muets, aidé en cela par une musique magnifique de AKUTAGAWA Yasushi, ce clin d'oeil appuie les flashbacks et souligne les différentes générations de l'histoire de façon directe et efficace. Le mélange des genres est étonnant et l'émotion au rendez-vous.
De l'avis de nombreux critiques japonais, The Castle of Sand serait une des grandes réussites du système de studios nippon. De notre côté, on aurait plutôt tendance à penser que seule sa seconde moitié mérite un minimum d'éloges. Ce n'est pas que la première soit totalement indigne d'intérêt. TANBA Tetsuro en flic avec un acolyte qui est tout sauf un faire-valoir, l'acteur fétiche d'OZU RYU Chishu au casting. Une plongée dans un Japon rural, profond dans une ambiance caniculaire. Le coupable apparaissant très vite à l'écran et se devinant très vite, déplaçant du coup le suspense sur la recherche du mobile du crime (élément classique chez l'écrivain MATSUMOTO Seicho ici adapté). Tout ceci est aussi alléchant sur le papier qu'ennuyeux pendant la première moitié du film. La faute à une lenteur rythmique insupportable et une mise en scène d'une platitude de téléfilm n'en sortant que pour quelques affèteries d'époque (les gros coups de zooms).
Ensuite, le film relève la tête pour se transformer en un drame des plus poignants. Le thème classique du film noir de l'être prisonnier de son passé acquiert une saveur particulière lorsqu'il s'agit de dresser en filigrane tout un tableau du Japon de l'immédiat après-guerre. Narration et montage jonglent alors magistralement avec le passé et le présent, l'alternance de points de vue narratifs et la musique n'étant pas en reste pour évoquer l'itinéraire d'un individu et d'un pays qui voudraient faire comme si leur passé douloureux n'était pas. Contrairement à d'autres NOMURA scénarisés par HASHIMOTO Shinobu (ici secondé par YAMADA Yoji à l'écriture), les jeux temporels évitent ici le procédé, la déclinaison light de narration Rashomon. Et là où l'emphase pourrait se révéler un piège au vu du sujet, elle fonctionne ici parfaitement tandis que la réalisation est cette fois d'un bon service minimum artisanal. Que signaler d'autre? Un OGATA Ken n'ayant pas encore toute la présence qu'il aura des années plus tard chez NOMURA (The Demon) et IMAMURA (La Vengeance est à moi).
Ceci dit, on a tendance à préférer quand une idée ambitieuse thématiquement du cinéma populaire s'accompagne d'une vraie ambition formelle. Comme dans le cinéma américain de la même époque. Voire chez d'autres cinéastes nippons de l'époque (ITO Shunya, FUJITA, FUKASAKU, HASEGAWA) à nos yeux plus méritants.
L'une des forces de Nomura, ancien assistant réalisateur chez Kurosawa, c'est sa faculté à transgresser les codes de l'angoisse et du suspense par l'utilisation admirable des décors. Comme dans L'été du démon, autre oeuvre maîtresse du cinéaste, la mer et la puissance des vagues représentent une certaine forme de violence à l'écran. L'écume qui s'éclate contre le sable n'est que la représentation dans le champ du meurtre qui eut lieu hors champs, meurtre sur lequel enquêtent deux inspecteurs de police. De même que la forêt, élément intégrant du récit adapté de Matsumoto, représentant cette fois-ci le trouble de l'enquête et les difficultés pour progresser, véritable labyrinthe dont les deux héros auront du mal à s'en sortir sans l'aide précieuse des habitants peuplant la région au nord de Tokyo, ces habitants dont on se moque du fait de leur accent incompréhensible. Sans forcément rentrer dans les détails critiques, Nomura expose les différences qui existent entre la "ville" et ses habitants éduqués, et la "campagne" exposée comme refuge de gens dont on se moque sans gêne. Structuré comme un pur polar, Le Vase de Sable met l'accent sur la récolte de témoignages, seules sources pour faire progresser l'enquête. Les deux inspecteurs passent leur temps à voyager de régions en régions, nuit et jour, uniquement pour clore un dossier compliqué, un homme admirable aux yeux des proches, retrouvé mort sur une ligne de chemin de fer. Le seul indice, on aurait entendu un "Kameda" prononcé avec un accent du nord au moment de sa mort.
Nomura revisite donc à sa sauce le polar classique avec recueils de témoignages et reconstitutions de preuves grâce aux dires des habitants. Rythmé comme un bon vieux polar des seventies, cadré en scope à l'italienne, Le Vase de Sable se démarque par son approche différente du genre. Si sa grosse première moitié est bien travaillée, sans bousculer les codes du genre, le film change de ton dès lors que l'identité du tueur est quasiment trouvée. Nomura s'attarde à cet instant sur le passé du tueur et explique ses agissements au travers d'un portrait plutôt émouvant. Ces séquences, logiquement tristes, relèvent plus du pathétique que du larmoyant. On y retrouve en effet les clichés d'une famille d'opprimés, rejetés par une poignée de bambins lanceurs de cailloux (rappelant étrangement la séquence du zinzin du train dans le début de Dodes'kaden), traqués par la police cherchant à les expulser de la région. Mais ces clichés sur papier sont relevés par la musique travaillée et imposante de Akutagawa Yasushi, transformant alors ces séquences en vrai mélodrame, masquant le dialogue et créant une véritable rupture de ton avec la première partie. Et à Nomura de s'éclater visuellement car même ses plans sont superbes, bien aidés par la somptueuse photo de Kawamata Takashi, la mise en scène au sens stricte du terme reste bien trop classique pour marquer.